Hypnose et maladie de Parkinson Adèle et le peintre du locus niger

Hypnose & thérapies brèves 2019 (51)

La maladie de Parkinson (MP) est une maladie neurologique chronique dégénérative associant un tremblement de repos, une akinésie et une dyskinésie extrapyramidale. Secondaire à une dégénérescence du locus niger (ou substance noire) qui altère la voie dopaminergique nigrostriée, la MP s’accompagne de l’atteinte d’autres systèmes neurotransmetteurs. Ainsi, des troubles du sommeil, de la mémoire et de l’humeur sont fréquents. Une origine périphérique de la MP est aujourd’hui évoquée, impliquant la migration de la protéine alpha-synucleine du système nerveux entérique vers le SNC (1). Plusieurs cas cliniques rapportent l’intérêt de la pratique de l’hypnose dans la MP : diminution des tremblements, de l’anxiété et de la symptomatologie dépressive avec amélioration de la qualité de vie (2 ; 3 ; 4 ; 5). Informés le plus souvent via internet, des personnes se présentent spontanément en consultation d’hypnose. C’est le cas d’Adèle dont le cas clinique est présenté ici.

Agée de 70 ans, Adèle souffre d’un syndrome parkinsonien akinéto-hypertonique et tremblant, prédominant à droite, évolutif. Elle est très invalidée par un tremblement du menton que les injections de toxine botulique, ainsi que l’administration d’apokinon n’ont pas permis d’améliorer. Elle est traitée par de fortes doses de L-dopa associées au neupropatch. Adèle est assise dans la salle d’attente. Son visage est figé et ses épaules sont voutées. Sa mâchoire est régulièrement déformée par des tremblements importants prédominant à droite. Elle présente une akinésie à la marche. Adèle a été élevée à la Réunion par une mère épileptique. Douzième enfant d’une fratrie de 14, elle a souffert d’un manque d’attention maternelle et de conflits familiaux continuels. Elle se souvient s’être régulièrement réfugiée dès l’âge de 6 ans chez Marlène, la voisine. Fille mère, rejetée par sa famille, Adèle a travaillé comme secrétaire et élevé seule son fils. Elle souffre. Elle a tendance à s’isoler pour ne pas montrer sa maladie et pour ne pas en parler. Les tremblements de la mâchoire l’empêchent de s’alimenter normalement et son articulation temporo-mandibulaire droite est algique dès le lever. Je propose à Adèle de lui enseigner la pratique de l’autohypnose dans l’objectif de retarder l’apparition de l’inconfort de sa mâchoire dans la journée. Après une induction VAKOG classique, j’accompagne Adèle afin qu’elle retrouve le bien-être et la sécurité vécus chez Marlène : « Prenez le temps de laisser vos yeux retrouver le visage de Marlène, pendant que ses mains cuisinent, attrapent, transforment les aliments. Alors que les narines retrouvent le parfum du souvenir, les oreilles se régalent de la voix de Marlène qui vous raconte une histoire… L’histoire d’une petite fille pleine d’énergie, qui surmonte pas à pas des obstacles extraordinaires, avance courageusement et progresse avec détermination vers son objectif. Vous êtes cette héroïne unique. Vous ressentez la joie immense d’avoir atteint votre objectif. Prenez le temps de respirer le parfum de la victoire, bien à l’intérieur de vous… Retrouvez à nouveau la musique de la voix de Marlène, son visage, le parfum du délicieux repas. Maintenant, donnez une couleur à ce souvenir, ce souvenir de sécurité et de bien être». Après avoir vérifié qu’Adèle ait bien trouvé la couleur : « et vous pourrez à tout moment, si vous en ressentez le besoin, retrouver cette couleur du bien-être et de la sécurité, peut-être tout à l’heure, peut-être demain, peut être un autre jour, couleur que vous prendrez le temps de bien faire circuler à l’intérieur de vous, grâce à votre respiration, qui apporte la couleur du confort partout où vous en ressentez le besoin ». Le visage d’Adèle s’est détendu, les tremblements ont nettement diminué et cet effet persiste après réorientation. Elle se sent beaucoup mieux, émue aussi. Je lui explique la technique du VAKOG et la réorientation. Je vérifie avec elle qu’elle est capable de me répéter les consignes et de les mettre en pratique, puis je lui prescris une séance d’autohypnose quotidienne.

Lorsqu’Adèle revient en consultation trois semaines plus tard, sa douleur de la mâchoire n’apparait qu’en fin de matinée. Je lui répète les consignes de pratique de l’autohypnose et lui enseigne la réification (6).

A la consultation suivante, Adèle se plaint toujours de sa mâchoire, mais aussi de sa jambe droite qui tremble de plus en plus et de sa difficulté à supporter le regard des autres sur ces tremblements. Je n’ai pas l’impression d’être d’une grande aide à Adèle, mais elle revient…alors peut-être que si. Elle me confie : « Lorsque je quitte votre consultation, je vais mieux, puis l’effet se dissipe et tout redevient comme avant. Je ne me souviens plus de l’exercice et ne parviens pas à pratiquer l’autohypnose». Il y a de la détresse dans ses yeux mais aussi une grande détermination à y parvenir. L’hypothèse de troubles mnésiques liés à sa maladie m’apparait alors probable et je lui propose de lui enregistrer la séance. La symptomatologie parkinsonienne prédominant à droite, je m’inspire de la thérapie en miroir (7), ainsi que de la technique du gant magique (6) afin de suggérer un passage d’habilité motrice et de confort de l’hémicorps gauche vers l’hémicorps droit. Après une induction VAKOG : « Vous décidez aujourd’hui de profiter de la nature. Vos yeux constatent combien les feuilles ont changé de couleur récemment. C’est une myriade de couleurs qui se répondent dans les arbres, caressées par une brise légère. Pendant que les narines profitent du parfum du souvenir, vous arrivez dans une clairière, où vous découvrez des briques magiques, légères et solides à la fois. Trouvez l’équilibre dans votre corps qui permet d’attraper une brique, peut-être avec la main droite, peut-être avec la main gauche, peut-être avec les deux. Les mains prennent le temps de toucher cette brique magique, de sentir sa texture agréable, puis de la déposer à vos pieds. Les mains se saisissent d’une autre et la placent à côté de la première. » Les mains d’Adèle travaillent. « Très bien. Et vous allez empiler confortablement et harmonieusement les briques magiques tout autour de vous afin de construire un grand mur de protection magique, un peu comme un igloo tout autour de vous et petit à petit, grâce à la force de votre imaginaire, les briques deviennent transparentes et vous vous retrouvez au milieu d’une bulle de sécurité, légère, qui accompagne vos mouvements. Et cette bulle magique ne laisse entrer que l’agréable pendant que le reste est rejeté au loin. Un peu comme ce parfum délicat que vous prenez le temps de découvrir alors que les regards extérieurs, sont rejetés au loin. Et dans cette bulle magique, vous progressez en liberté. Pendant que les yeux profitent de la danse aérienne des feuilles colorées, prenez le temps de demander à votre bras gauche d’apprendre à votre bras droit comment être confortable, en toute symétrie. Et puis aussi, très poliment, de demander à votre jambe gauche d’apprendre le confort à la jambe droite. Un petit peu comme cette petite fille qui marche pour la première fois : elle avance la jambe gauche, puis la droite, et à chaque pas, elle marche de mieux en mieux car sa jambe gauche apprend à sa jambe droite. Prenez le temps de respirer la fierté de cette petite fille, son bonheur, son sourire, car elle est parvenue à avancer, progresser, à grandir. Et vous allez garder cette bulle magique dans un endroit de votre corps, un endroit secret, connu de vous seul, que vous pourrez réactiver à tout moment si vous en ressentez le besoin, pour retrouver cette protection et ce bien être. » Adèle repart enchantée de cette séance.

Peu avant la consultation suivante, ma secrétaire m’indique qu’Adèle a été très désagréable avec elle. J’en conclue qu’elle doit vraiment aller beaucoup mieux et cela se confirme lorsque je vois son sourire. Habillée avec élégance, très bien maquillée, elle se tient indéniablement plus droite. Elle m’informe qu’écouter l’enregistrement lui apporte beaucoup et qu’elle active régulièrement « sa bulle » dans la journée mais est gênée par le tremblement de ses jambes. Je constate que, si ses tremblements apparaissent moins intenses, ils se bilatéralisent. Je décide de créer un conte thérapeutique librement inspiré du conte de Grimm « les étoiles d’or ». Choisi pour l’inciter à la gentillesse, ce conte est aussi une métaphore de renoncement, utile à une fin de vie sereine. Après qu’Adèle ait elle-même induit son processus hypnotique, je l’accompagne à nouveau dans la cuisine de Marlène qui lui raconte l’histoire de Pricillia, une petite fille qui aime la nature et sa liberté. Un jour, alors qu’elle se trouve dans la forêt en train de récolter des champignons, elle rencontre une petite fille affamée à qui elle offre sa récolte. A la sortie de la forêt, elle croise le chemin d’un prince, qui lui confie un écu d’or magique, puis : « cet écu permet d’apporter le confort et le bien être dans le corps, tout simplement en l’amenant là où le confort doit s’installer ». Adèle porte sa main gauche à sa mâchoire, puis à sa jambe droite et gauche. Après réorientation, elle me remercie chaleureusement.

Trois semaines plus tard, ma secrétaire semble légèrement impressionnée. « Votre patiente va beaucoup mieux, vraiment beaucoup mieux. » me dit-elle. Effectivement, toujours aussi élégante, Adèle se tient bien droite et sa marche est peu akinétique. Elle est cependant très angoissée et me parle d’un cauchemar terrible où sa mère et son frère, aujourd’hui décédés, lui rendent visite et pleurent. « Chaque fois que je fais ce cauchemar, un malheur m’arrive ». Très anxieuse, ses tremblements sont plus intenses. Elle ne parvient pas à réaliser l’induction seule et je dois la réaccompagner pas à pas et utiliser plusieurs phrases expansives avant que son processus hypnose ne s’active. Je lui conte l’histoire d’une petite fille qui doit traverser une forêt obscure hantée par un monstre effroyable. La petite fille parvient à surmonter tous les obstacles rencontrés grâce à son intelligence, ses capacités physiques et sa détermination. Après réorientation, Adèle semble tout à fait apaisée. Puis soudain, elle me parle à nouveau de son cauchemar et l’anxiété réapparait, ses tremblements aussi. Un exercice de cohérence cardiaque l’apaise rapidement et je l’invite à pratiquer cette technique 3 fois par jour (8).

J’envisage l’éventualité qu’Adèle ait décidé de ne plus venir car elle ne reprend rendez-vous que deux mois plus tard, rendez-vous qu’elle reporte en raison d’une bronchite. Elle est ensuite en retard pour la première fois. Je l’imagine alors gravement malade, dyspnéique, peut-être hospitalisée. Mais finalement Adèle arrive. L’hiver a été difficile, marqué par un syndrome dépressif. Rétablie, souriante, toujours très élégante, elle se tient bien droite. Elle rejoint le cabinet de consultation et je constate que ses tremblements sont discrets. Je réalise alors que la lecture du courrier de son éminent neurologue avec sa conclusion : « syndrome parkinsonien akinéto-hypertonique et tremblant, évolutif » a induite chez moi une cognition négative puissante. Je décide alors de sortir du cadre de mes apprentissages en lui proposant l’hypnose suivante : « Laissez votre imaginaire observer votre locus niger, sa localisation, ses limites et sa forme. Vous savez que cette substance noire synthétise la dopamine et vous constatez, au milieu de cette substance noire, des zones un petit peu moins noires. » Puis après avoir vérifié qu’Adèle visualisait bien son locus niger : « Très bien. Prenez le temps de faire que cette substance noire soit bien noire. Un petit peu comme ce peintre qui par le mélange des couleurs peut choisir de rendre une couleur plus sombre : il mélange, adapte à sa créativité les couleurs qu’il dépose sur la toile, couleurs utiles et nécessaires pour assombrir ce qui doit être assombri, afin que le reste de sa toile soit plus lumineuse. C’est cette petite zone d’ombre qui permet d’illuminer le reste de sa toile. Finalement, cette toile c’est un peu comme le ciel nuageux du printemps. Mais vous savez qu’après la pluie vient le beau temps et finalement le soleil, de part la magie de ses rayons, trouve le moyen de passer, de progresser, d’avancer et de franchir les nuages pour venir caresser votre peau. Pendant que tout votre organisme respire la magie du printemps, prenez le temps de retrouver le peintre qui a continué avec dextérité à obscurcir cette petite zone de toile, toile qu’il vous offre en souriant et que vous gardez bien à l’intérieur de vous afin de pouvoir l’admirer dès que vous en ressentez le besoin ». Adèle me remercie. Son regard me fait comprendre que je viens enfin de lui proposer ce qu’elle est venue chercher : une arme pour se battre frontalement avec sa maladie. Elle rejoint l’arrêt de bus, un grand sourire aux lèvres.

Ce n’est qu’après une pratique régulière de l’hypnose, rendue possible grâce aux enregistrements, que l’effet thérapeutique a été observé : analgésie, diminution des tremblements, amélioration de l’akinésie et de la posture. Le docteur Faymonville a montré que l’effet antalgique de l’hypnose repose sur une augmentation de la modulation fonctionnelle du cortex cingulaire moyen vers les aires cérébrales impliquées dans les aspects sensoriel, affectif, cognitif et comportemental de la nociception (9). Il est probable que l’effet anxiolytique et myorelaxante de l’hypnose soit à l’origine du mécanisme physiopathologique de la diminution des tremblements. La sollicitation des neurones miroirs pourrait être impliquée dans l’amélioration clinique de l’akinésie et de la posture, l’effet thérapeutique n’ayant été observée qu’après utilisation de suggestions de passage de l’habileté motrice du côté préservée vers l’hémicorps symptomatique. L’anxiété aiguë induite par les cauchemars peut altérer les capacités de la personne à pratiquer l’hypnose. Proposer des exercices de cohérence cardiaque (8) pourrait être alors être intéressant. Enfin, le diagnostic de MP induit une cognition négative puissante chez le patient, mais aussi chez les soignants. Dépasser cette cognition négative en proposant au patient de visualiser sa substance noire et de l’obscurcir permet de le rendre actif dans sa lutte contre la maladie. Bien que des études randomisées soient encore nécessaires pour valider l’efficacité de la pratique de l’hypnose, il semble aujourd’hui intéressant de s’orienter vers une médecine intégrative associant l’hypnose au traitement conventionnel de la MP.

  1. Liu B., Fang F., Pedersen N.L., et al. (2017), « Vagotomy and Parkinson disease: A Swedish register-based matched-cohort study », Neurology 88 (21) : 1996-2002.

  2. Elkin G., Sliwinski J., Bower J., Encarnacion E. (2013), “Feasibility of clinical hypnosis for the treatment of Parkinson’s disease of Parkinson’s disease: a case study”, Int J Clin Exp Hypn 61 : 172-182.

  3. McCormack M. (1998), “Hypnosis used in parkinson’s disease: a case study”, Australian Journal of Clinical and Experimental hypnosis, 26(2): 127-137.

  4. Wain H., Amen D., jabbari B. (1990), « The effects of hypnosis on a Parkinsonian tremor: Case Report with Polygraph/EEG Recording”, American Journal of clinical Hypnosis 33: 94-90.

  5. Schlesinger I., Benyakov O., Erikh I., Suralya S., Schiller Y. (2009), “Parkinson’s disease tremor is diminished with relaxation guided imagery”, Movement Disorders 24(14): 2059-2062.

  6. Virot C., Bernard F. (2010), “Hypnose, douleurs aiguës et anesthésie”, Arnette Blackwell.

  7. Ramachandran V.S., altschuler E.L. (2009), “The use of visual feedback, in particular mirror visual feedback, in restoring brain function”, Brain 132: 1693- 1710.

  8. O’Hara D.(2012). Cohérence cardiaque 365, Thierry Souccar Editions, Vergèze.

  9. Faymonville M.E., Boly M., Laureys S. (2006), “Functional neuroanatomy of the hypnotic state”, J Physiol Paris 99(4-6): 463-469.

Suggestions verbales, hypnose et anesthésie

Hypnose & thérapies brèves 2019 (52), 10-17

C’est en 2002 à Rennes au congrès AGORA que j’assiste à un atelier « hypnose et anesthésie » animé par Claude Virot. Je comprends immédiatement l’intérêt pratique de l’effet anxiolytique et analgésique des suggestions hypnotiques. En effet, Praticien Hospitalier, je pratique « largue à mains nues »-mais gantées tout de même- l’anesthésie locorégionale (ALR) en orthopédie et en traumatologie. J’aborde donc des patients conscients, souvent algiques et très anxieux, les « piquant » à l’aveugle en utilisant un neurostimulateur qui provoque des mouvements de membres bien souvent fracturés. L’administration préalable d’anxiolytique est insuffisante à leur confort, tandis que les morphiniques sont contre-indiqués. L’idée de pouvoir par simples suggestions verbales potentialiser une anxiolyse et induire une analgésie est prometteuse, laissant entrapercevoir une amélioration conséquente de la qualité des soins dans mon service. Je m’inscris rapidement à la formation « hypnose, douleur aigüe et anesthésie » (Emergences, Rennes) qui débute 6 mois plus tard. Je suis accompagnée par une infirmière anesthésiste motivée. La formation est très bien réalisée. Elle me permet d’introduire rapidement l’hypnose dans ma pratique au quotidien.

Un jeune homme arrive en unité de soins post interventionnelle. Il hurle en se tenant le bras droit. Il porte un kimono. Il est allongé sur un brancard poussé par deux brancardiers du SAMU. Une troisième personne accompagne, probablement un externe des urgences, yeux immenses, très empathique. Je m’approche. Le médecin urgentiste nous rejoint. Il me fait ses transmissions : 19 ans, luxation de l’épaule droite au karaté, échec de réduction aux urgences, pas d’antécédent médical. Indication de réduction sous anesthésie.

Mon plateau d’ALR est prêt. Je me présente et informe ce jeune homme que je vais réaliser l’anesthésie de son épaule en recherchant le nerf au niveau du cou. Sa réponse est : « oh non !!!». Je prononce quelques mots rassurant, m’installe à ses côtés et dit à son oreille :

– « De quelle couleur est ta douleur ? »

– « noire, elle est noire »

– « Quelle forme »

– « Un point, un point noir »

– « Regarde bien ce point noir attentivement. Tu vas remarquer que cette couleur peut se modifier. Devenir plus claire…changer…s’atténuer pendant que la fraicheur va engourdir l’endroit ou je vais travailler». Il ferme les yeux et les traits de son visage se détendent. Je désinfecte son cou et réalise l’anesthésie locale, puis l’ALR pendant qu’il me parle : « elle devient marron…vert…orange…jaune…blanche. Elle est blanche maintenant…blanche … oui, blanche». Quelques ratifications puis l’ALR est terminée. Il ouvre de grands yeux surpris (comme l’externe d’ailleurs).

« Ce n’est pas l’anesthésie qui m’a enlevé la douleur, c’est la couleur !!! »

– « C’est probablement les deux. Vous avez une grande capacité de concentration. Vous pouvez réutiliser cela si vous en ressentez le besoin maintenant, ou peut-être plus tard »

La réduction de la luxation est pratiquée avec facilité. Je réalise que les couleurs évoquées sont celles données au karaté à mesure de la progression technique acquise. Peut-être une régression en âge ? Je suis étonnée de l’efficacité de la réification sur cette douleur aiguë.

Je constate rapidement l’intérêt énorme de l’hypnose associée à l’ALR pour les patients bien sûr, mais pour moi aussi. En effet, je ressentais une certaine lassitude à réaliser des gestes techniques souvent algiques et commençais à envisager un changement de service. L’hypnose me réconcilie donc très vite avec mon travail d’ « ALRiste » au même titre que l’échographie qui facilite le geste technique. L’hypnose est introduite progressivement, presque en secret : pas de lévitation ni de catalepsie, juste un médecin ou une infirmière qui chuchote à l’oreille du patient. Moins de deux semaines après ma première hypnose au bloc opératoire, le Professeur S, orthopédiste, vient vers moi avec curiosité :

  • « Qu’est ce que tu fais donc avec mes patients ? »

  • « De l’hypnose médicale »

  • « Tu m’expliques ? »

  • « Je peux faire un topo si tu veux »

  • « Ok, lundi prochain ? »

Il semble que les patients aient beaucoup parlé d’hypnose à leurs chirurgiens…Lundi, tous les chirurgiens, y compris les chefs de clinique et les internes, sont présents. Le topo est « cerveau gauche », basé principalement sur les travaux du Professeur Faymonville. Les sourires narquois s’effacent. Le message est passé. Un autre topo est proposé aux infirmières du bloc opératoire, plus cerveau droit cette fois. Elles adhèrent immédiatement. Une formation est organisée à Strasbourg par Claude Virot. Les demandes affluent. Le CHU adhère au projet et finance. Peu à peu beaucoup d’infirmières et de médecins sont formés. L’hypnose s’installe progressivement au bloc opératoire d’ortho-traumatologie, comme une évidence. Je ne le réalise vraiment qu’en entendant l’aide soignant du service, dont la fonction est d’installer les patients sur leur brancard à l’entrée du bloc opératoire, dire à une patiente : « Prenez le temps, Madame, de venir vous installer sur ce lit… confortablement ». Six mois plus tôt, ce même aide-soignant disait d’une grosse voix dans le couloir (à moins de 10 mètres du patient) : «Je vais charger le patient et j’arrive !». Tous les soignants ont naturellement de grandes capacités d’empathie. L’empathie est souvent à l’origine du choix de leur métier. Ils ont cependant « bénéficié » d’un conditionnement à type d’anesthésie émotionnelle tout au long de leur formation, et ce surtout au bloc opératoire. Introduire l’hypnose au bloc opératoire semble réveiller l’empathie des soignants, au même titre qu’un enseignement spécifique formel. Il a été démontré qu’un tel enseignement améliore la qualité des soins et la satisfaction des patients (1). Il permet aussi aux soignants de réinvestir leur fonction de soignant différemment.

2010 : j’intègre l’équipe médicale de la clinique Saint Anne, où a lieu 1800 naissances par an. Trois anesthésistes sont formés à l’hypnose sur huit en poste à mon arrivée. Beaucoup d’infirmières du bloc opératoire et de sages-femmes ont suivi une formation. La pratique de l’hypnose médicale est bien implantée sur le site et donc très agréable à pratiquer au bloc opératoire où l’équipe prend soin de ne pas interférer.

Code rouge. Césarienne en urgence pour altération du rythme cardiaque fœtal. Je réinjecte la péridurale. La parturiente ouvre de grands yeux affolés. L’infirmière du bloc opératoire et deux sages femmes l’aident à s’installer rapidement sur le brancard de transfert. A l’arrivée dans la salle d’opération, à quelques mètres de là, ses yeux sont encore plus grands et fixes. Elle est terrorisée. « Nous vous apportons de l’oxygène par ce dispositif, madame, vous pouvez le respirer profondément afin de le faire circuler dans tout votre corps. Pendant que le bas de votre corps s’endort à son rythme pour permettre l’intervention … prenez le temps de préparer le haut de votre corps à accueillir votre bébé, qui sera là dans quelques minutes. Vous pouvez fermer les yeux ou ne pas les fermer … et préparer vos bras à l’embrasser … votre bouche à prononcer les premiers mots d’amour… vos yeux à rechercher les traits de votre mari sur les siens, ou les vôtres peut-être … ou bien ceux d’une grand-mère … pourquoi pas ? Préparer vos narines à respirer le parfum de cet amour… Il arrive…Le voilà… ». Puis, après le baiser d’accueil et son départ vers la couveuse : « Votre bébé est à quelques mètres seulement … Vous pouvez fermer les yeux et lui envoyer plein de baisers et de paroles d’amour… afin qu’il se sente bien entouré, comme dans une bulle … qu’il se sente bien en sécurité dans cette bulle d’amour… ». L’intervention se passe bien. La patiente ferme les yeux. Elle est souriante. Seule sa bouche fait de très petits mouvements de baisers.

Une infirmière avec qui j’ai travaillé en réanimation me sollicite en consultation pré-anesthésique de fin de grossesse. Elle souhaite des séances d’apprentissage d’autohypnose avant son accouchement qu’elle appréhende beaucoup. Mes confrères Christian Schmitt et Jean Michel Hérin proposent déjà ce type de consultation. Je leur demande quelques conseils et lit le livre de Armelle Touyarot : Pas à pas. Guide d’auto-préparation à l’accouchement par l’hypnose. Pendant la première séance, je l’écoute. Elle exprime sa crainte de mourir. Elle me parle d’une patiente de son service morte suite à une embolie amniotique. Elle est très émue. Je lui propose une séance après choix d’un lieu de sécurité afin de lui faire ressentir le processus. Elle part de la consultation plus sereine avec une prescription d’autohypnose quotidienne. Elle réalise ces séances avec assiduité et réussite. La deuxième séance est induite de la même manière, puis une fois bien installée dans son lieu sûr et confirmation par un signal de communication : « Vous pouvez à tout moment retrouver cet état de bien être, bien installée dans cet endroit qui vous appartient car il vous appartient…et vous en connaissez le chemin maintenant pendant que votre oreille écoute ma voix. Dans quelques jours ou peut-être plus tard, vous ressentirez les premières contractions qui seront de plus en plus régulières…c’est l’heure de partir à la clinique. Votre mari prend le sac ou la valise toute prête, qui contient tout ce qui est nécessaire à votre confort et à celui de votre bébé. Le trajet vers la maternité est maintenant bien connu, mais prenez le temps de laisser vos yeux regarder par la fenêtre. Vous arrivez à la maternité. Vous laissez vos yeux retrouver le hall, puis la porte de la salle de naissance. Vous sonnez et une sage-femme vient vous accueillir. Elle a peut-être un sourire ou peut-être pas, peu importe. Vous prenez le temps d’un bon bain … ou peut-être pas, en faisant confiance à votre utérus. Peut-être une péridurale …ou peut-être pas ; peut-être une césarienne ? Peu importe car seul importe votre bébé …dans vos bras. Vous profitez de chaque instant de cette rencontre unique … où tous vos sens le caressent … et où vous respirer cet amour… Puis vient l’heure du retour à la maison. Laisser vos yeux retrouver la porte de chez vous, votre bébé avec vous. Prenez le temps, avec votre main dominante, de déverrouiller le mécanisme qui permet d’ouvrir cette porte et installez-vous confortablement à l’intérieur de chez vous, bien à l’intérieur de chez vous, bien en sécurité à l’intérieur de chez vous, avec votre bébé bien nourri et dormant sereinement à vos côtés pendant que vos yeux le caressent et l’admire… Lieu sûr puis réassociation. Elle ouvre de grands yeux : « mon bébé chez moi, bien sûr ». La troisième séance sera plus axée sur l’analgésie. L’accouchement se passera très bien. Je reçois un joli sourire, des remerciements et un beau bouquet de fleurs. Je ressens de plus en plus le besoin d’enrichir ma pratique. J’obtiens mon inscription au DU d’Hypnose Clinique du Docteur Becchio. Je suis ravie.

Novembre 2013 : l’enseignement du DU d’Hypnose Clinique commence. Celui sur les suggestions me pose des difficultés. La définition de Bernheim « acte par lequel une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui », ainsi que son livre « Hypnotisme, suggestion, psychothérapie » me mettent mal à l’aise. A la lecture du polycopié du cours, j’ai le sentiment de sortir de mon rôle d’anesthésiste en empiétant trop loin dans le domaine de la psychothérapie : « La suggestion doit être en partie invisible et une autre partie doit venir du sujet. Tout notre art va s’exercer à faire naître cette autosuggestion ». Ai-je le droit, déontologiquement, d’apprendre à manipuler les suggestions ? (pléonasme ?). Le cours sur les métaphores fait complètement disparaitre mes questionnements. Quelques jours après ce cours, je reçois en consultation pré-anesthésique une patiente qui doit être opérée d’un essure (stérilisation tubaire par voie endo-utérine) sous hypnose. Sa demande est d’être accompagnée dans le souvenir de la naissance de ses jumelles afin de modifier ce souvenir. Elle raconte avoir bien accueilli Britta, mais pas Eva, pour qui une ventouse a été utilisée. Au cours de l’anamnèse, elle décrit une amnésie totale de cette seconde naissance. Je l’informe qu’un hypnotique lui a probablement été administré pour son confort pendant la ventouse et que celui-ci était à l’origine de l’amnésie. Puis je lui explique mon refus de créer un souvenir sous hypnose. Je réalise cependant que ce refus n’a pas été intégré par la patiente qui reformule sa demande en salle d’opération. Dans ce contexte, je décide d’utiliser une métaphore imbriquée avec métaphore adapté de recadrage. Après une induction VAKOG classique, je l’accompagne dans ce souvenir : la première naissance, puis la deuxième. « C’est comme cette maman qui raconte une histoire à ses filles… L’histoire de deux petites filles qui découvrent la mer pour la première fois. L’une court, saute dans les vagues, éclabousse, court sur les dunes de sable et rit ! Tandis que l’autre s’approche doucement du rivage…goutte l’eau d’un orteil…prend le temps de respirer le parfum légèrement iodé du bord de mer…laisse son regard émerveillé se promener à l’horizon, entre le ciel et la terre, où l’on se sait plus où est le ciel et où est la terre… pendant que quelques voiles à l’horizon se promènent… Ces deux petites filles se ressemblent. Elles sont pourtant bien différentes. Mais elles garderont toutes les deux un souvenir inoubliable de cette mer merveilleuse. Mais cela n’a pas d’importance. La maman regarde ses filles pendant l’histoire du soir. Leurs yeux sont grands ouverts. Elles n’écoutent pas l’histoire. Elles la vivent. Elles apprendront plus tard à reconnaître les lettres, à différentier le a, du d, le n du m. Où sont les courbes, où sont les lignes, puis elles sauront lire. Et plus tard, à leur tour, elles liront des histoires à leurs enfants. Mais cela n’a pas d’importance et vous pouvez retrouver, à votre rythme, la salle d’accouchement, où vous tenez vos deux filles dans vos bras ». Réassociation. Aucun signal de communication d’inconfort per-opératoire : pour la première fois je n’ai pas administré de morphinique. L’hypnose était très profonde. La patiente est enchantée.

La formation «Hypnose, douleur aiguë et anesthésie » suivie à Emergences m’a permis de considérablement améliorer la prise en charge des patients au bloc opératoire. Elle m’a aussi réconciliée avec la pratique de l’anesthésie locorégionale en traumatologie. Le Diplôme Universitaire en Hypnose clinique suivi à Paris XI m’a ouvert d’autres perspectives en hypnose thérapeutique. J’ai ainsi créé depuis 2015 une consultation d’hypnose éricksonienne indépendamment de mon travail d’anesthésiste.

Bibliographie

  1. H Riess, JM Kelley, RW Bailey, EJ Dunn. M Phillips. Empathy training for resident physicians: A randomized controlled trial of a neuroscience-informed curriculum. J Gen Intern Med 2012 ; 27(12) : 1280-6.

  2. Overton DA, “State-dependent learning produced by depressant and atropine-like drugs », Psychopharmacologia 1966 ; 10 : 6–31.

  3. Philips M, Frederick C. Psychothérapie des états dissociatifs, Guérir le moi divisé. Satas.1995.