Hypnose et maladie de Parkinson Adèle et le peintre du locus niger

Hypnose & thérapies brèves 2019 (51)

La maladie de Parkinson (MP) est une maladie neurologique chronique dégénérative associant un tremblement de repos, une akinésie et une dyskinésie extrapyramidale. Secondaire à une dégénérescence du locus niger (ou substance noire) qui altère la voie dopaminergique nigrostriée, la MP s’accompagne de l’atteinte d’autres systèmes neurotransmetteurs. Ainsi, des troubles du sommeil, de la mémoire et de l’humeur sont fréquents. Une origine périphérique de la MP est aujourd’hui évoquée, impliquant la migration de la protéine alpha-synucleine du système nerveux entérique vers le SNC (1). Plusieurs cas cliniques rapportent l’intérêt de la pratique de l’hypnose dans la MP : diminution des tremblements, de l’anxiété et de la symptomatologie dépressive avec amélioration de la qualité de vie (2 ; 3 ; 4 ; 5). Informés le plus souvent via internet, des personnes se présentent spontanément en consultation d’hypnose. C’est le cas d’Adèle dont le cas clinique est présenté ici.

Agée de 70 ans, Adèle souffre d’un syndrome parkinsonien akinéto-hypertonique et tremblant, prédominant à droite, évolutif. Elle est très invalidée par un tremblement du menton que les injections de toxine botulique, ainsi que l’administration d’apokinon n’ont pas permis d’améliorer. Elle est traitée par de fortes doses de L-dopa associées au neupropatch. Adèle est assise dans la salle d’attente. Son visage est figé et ses épaules sont voutées. Sa mâchoire est régulièrement déformée par des tremblements importants prédominant à droite. Elle présente une akinésie à la marche. Adèle a été élevée à la Réunion par une mère épileptique. Douzième enfant d’une fratrie de 14, elle a souffert d’un manque d’attention maternelle et de conflits familiaux continuels. Elle se souvient s’être régulièrement réfugiée dès l’âge de 6 ans chez Marlène, la voisine. Fille mère, rejetée par sa famille, Adèle a travaillé comme secrétaire et élevé seule son fils. Elle souffre. Elle a tendance à s’isoler pour ne pas montrer sa maladie et pour ne pas en parler. Les tremblements de la mâchoire l’empêchent de s’alimenter normalement et son articulation temporo-mandibulaire droite est algique dès le lever. Je propose à Adèle de lui enseigner la pratique de l’autohypnose dans l’objectif de retarder l’apparition de l’inconfort de sa mâchoire dans la journée. Après une induction VAKOG classique, j’accompagne Adèle afin qu’elle retrouve le bien-être et la sécurité vécus chez Marlène : « Prenez le temps de laisser vos yeux retrouver le visage de Marlène, pendant que ses mains cuisinent, attrapent, transforment les aliments. Alors que les narines retrouvent le parfum du souvenir, les oreilles se régalent de la voix de Marlène qui vous raconte une histoire… L’histoire d’une petite fille pleine d’énergie, qui surmonte pas à pas des obstacles extraordinaires, avance courageusement et progresse avec détermination vers son objectif. Vous êtes cette héroïne unique. Vous ressentez la joie immense d’avoir atteint votre objectif. Prenez le temps de respirer le parfum de la victoire, bien à l’intérieur de vous… Retrouvez à nouveau la musique de la voix de Marlène, son visage, le parfum du délicieux repas. Maintenant, donnez une couleur à ce souvenir, ce souvenir de sécurité et de bien être». Après avoir vérifié qu’Adèle ait bien trouvé la couleur : « et vous pourrez à tout moment, si vous en ressentez le besoin, retrouver cette couleur du bien-être et de la sécurité, peut-être tout à l’heure, peut-être demain, peut être un autre jour, couleur que vous prendrez le temps de bien faire circuler à l’intérieur de vous, grâce à votre respiration, qui apporte la couleur du confort partout où vous en ressentez le besoin ». Le visage d’Adèle s’est détendu, les tremblements ont nettement diminué et cet effet persiste après réorientation. Elle se sent beaucoup mieux, émue aussi. Je lui explique la technique du VAKOG et la réorientation. Je vérifie avec elle qu’elle est capable de me répéter les consignes et de les mettre en pratique, puis je lui prescris une séance d’autohypnose quotidienne.

Lorsqu’Adèle revient en consultation trois semaines plus tard, sa douleur de la mâchoire n’apparait qu’en fin de matinée. Je lui répète les consignes de pratique de l’autohypnose et lui enseigne la réification (6).

A la consultation suivante, Adèle se plaint toujours de sa mâchoire, mais aussi de sa jambe droite qui tremble de plus en plus et de sa difficulté à supporter le regard des autres sur ces tremblements. Je n’ai pas l’impression d’être d’une grande aide à Adèle, mais elle revient…alors peut-être que si. Elle me confie : « Lorsque je quitte votre consultation, je vais mieux, puis l’effet se dissipe et tout redevient comme avant. Je ne me souviens plus de l’exercice et ne parviens pas à pratiquer l’autohypnose». Il y a de la détresse dans ses yeux mais aussi une grande détermination à y parvenir. L’hypothèse de troubles mnésiques liés à sa maladie m’apparait alors probable et je lui propose de lui enregistrer la séance. La symptomatologie parkinsonienne prédominant à droite, je m’inspire de la thérapie en miroir (7), ainsi que de la technique du gant magique (6) afin de suggérer un passage d’habilité motrice et de confort de l’hémicorps gauche vers l’hémicorps droit. Après une induction VAKOG : « Vous décidez aujourd’hui de profiter de la nature. Vos yeux constatent combien les feuilles ont changé de couleur récemment. C’est une myriade de couleurs qui se répondent dans les arbres, caressées par une brise légère. Pendant que les narines profitent du parfum du souvenir, vous arrivez dans une clairière, où vous découvrez des briques magiques, légères et solides à la fois. Trouvez l’équilibre dans votre corps qui permet d’attraper une brique, peut-être avec la main droite, peut-être avec la main gauche, peut-être avec les deux. Les mains prennent le temps de toucher cette brique magique, de sentir sa texture agréable, puis de la déposer à vos pieds. Les mains se saisissent d’une autre et la placent à côté de la première. » Les mains d’Adèle travaillent. « Très bien. Et vous allez empiler confortablement et harmonieusement les briques magiques tout autour de vous afin de construire un grand mur de protection magique, un peu comme un igloo tout autour de vous et petit à petit, grâce à la force de votre imaginaire, les briques deviennent transparentes et vous vous retrouvez au milieu d’une bulle de sécurité, légère, qui accompagne vos mouvements. Et cette bulle magique ne laisse entrer que l’agréable pendant que le reste est rejeté au loin. Un peu comme ce parfum délicat que vous prenez le temps de découvrir alors que les regards extérieurs, sont rejetés au loin. Et dans cette bulle magique, vous progressez en liberté. Pendant que les yeux profitent de la danse aérienne des feuilles colorées, prenez le temps de demander à votre bras gauche d’apprendre à votre bras droit comment être confortable, en toute symétrie. Et puis aussi, très poliment, de demander à votre jambe gauche d’apprendre le confort à la jambe droite. Un petit peu comme cette petite fille qui marche pour la première fois : elle avance la jambe gauche, puis la droite, et à chaque pas, elle marche de mieux en mieux car sa jambe gauche apprend à sa jambe droite. Prenez le temps de respirer la fierté de cette petite fille, son bonheur, son sourire, car elle est parvenue à avancer, progresser, à grandir. Et vous allez garder cette bulle magique dans un endroit de votre corps, un endroit secret, connu de vous seul, que vous pourrez réactiver à tout moment si vous en ressentez le besoin, pour retrouver cette protection et ce bien être. » Adèle repart enchantée de cette séance.

Peu avant la consultation suivante, ma secrétaire m’indique qu’Adèle a été très désagréable avec elle. J’en conclue qu’elle doit vraiment aller beaucoup mieux et cela se confirme lorsque je vois son sourire. Habillée avec élégance, très bien maquillée, elle se tient indéniablement plus droite. Elle m’informe qu’écouter l’enregistrement lui apporte beaucoup et qu’elle active régulièrement « sa bulle » dans la journée mais est gênée par le tremblement de ses jambes. Je constate que, si ses tremblements apparaissent moins intenses, ils se bilatéralisent. Je décide de créer un conte thérapeutique librement inspiré du conte de Grimm « les étoiles d’or ». Choisi pour l’inciter à la gentillesse, ce conte est aussi une métaphore de renoncement, utile à une fin de vie sereine. Après qu’Adèle ait elle-même induit son processus hypnotique, je l’accompagne à nouveau dans la cuisine de Marlène qui lui raconte l’histoire de Pricillia, une petite fille qui aime la nature et sa liberté. Un jour, alors qu’elle se trouve dans la forêt en train de récolter des champignons, elle rencontre une petite fille affamée à qui elle offre sa récolte. A la sortie de la forêt, elle croise le chemin d’un prince, qui lui confie un écu d’or magique, puis : « cet écu permet d’apporter le confort et le bien être dans le corps, tout simplement en l’amenant là où le confort doit s’installer ». Adèle porte sa main gauche à sa mâchoire, puis à sa jambe droite et gauche. Après réorientation, elle me remercie chaleureusement.

Trois semaines plus tard, ma secrétaire semble légèrement impressionnée. « Votre patiente va beaucoup mieux, vraiment beaucoup mieux. » me dit-elle. Effectivement, toujours aussi élégante, Adèle se tient bien droite et sa marche est peu akinétique. Elle est cependant très angoissée et me parle d’un cauchemar terrible où sa mère et son frère, aujourd’hui décédés, lui rendent visite et pleurent. « Chaque fois que je fais ce cauchemar, un malheur m’arrive ». Très anxieuse, ses tremblements sont plus intenses. Elle ne parvient pas à réaliser l’induction seule et je dois la réaccompagner pas à pas et utiliser plusieurs phrases expansives avant que son processus hypnose ne s’active. Je lui conte l’histoire d’une petite fille qui doit traverser une forêt obscure hantée par un monstre effroyable. La petite fille parvient à surmonter tous les obstacles rencontrés grâce à son intelligence, ses capacités physiques et sa détermination. Après réorientation, Adèle semble tout à fait apaisée. Puis soudain, elle me parle à nouveau de son cauchemar et l’anxiété réapparait, ses tremblements aussi. Un exercice de cohérence cardiaque l’apaise rapidement et je l’invite à pratiquer cette technique 3 fois par jour (8).

J’envisage l’éventualité qu’Adèle ait décidé de ne plus venir car elle ne reprend rendez-vous que deux mois plus tard, rendez-vous qu’elle reporte en raison d’une bronchite. Elle est ensuite en retard pour la première fois. Je l’imagine alors gravement malade, dyspnéique, peut-être hospitalisée. Mais finalement Adèle arrive. L’hiver a été difficile, marqué par un syndrome dépressif. Rétablie, souriante, toujours très élégante, elle se tient bien droite. Elle rejoint le cabinet de consultation et je constate que ses tremblements sont discrets. Je réalise alors que la lecture du courrier de son éminent neurologue avec sa conclusion : « syndrome parkinsonien akinéto-hypertonique et tremblant, évolutif » a induite chez moi une cognition négative puissante. Je décide alors de sortir du cadre de mes apprentissages en lui proposant l’hypnose suivante : « Laissez votre imaginaire observer votre locus niger, sa localisation, ses limites et sa forme. Vous savez que cette substance noire synthétise la dopamine et vous constatez, au milieu de cette substance noire, des zones un petit peu moins noires. » Puis après avoir vérifié qu’Adèle visualisait bien son locus niger : « Très bien. Prenez le temps de faire que cette substance noire soit bien noire. Un petit peu comme ce peintre qui par le mélange des couleurs peut choisir de rendre une couleur plus sombre : il mélange, adapte à sa créativité les couleurs qu’il dépose sur la toile, couleurs utiles et nécessaires pour assombrir ce qui doit être assombri, afin que le reste de sa toile soit plus lumineuse. C’est cette petite zone d’ombre qui permet d’illuminer le reste de sa toile. Finalement, cette toile c’est un peu comme le ciel nuageux du printemps. Mais vous savez qu’après la pluie vient le beau temps et finalement le soleil, de part la magie de ses rayons, trouve le moyen de passer, de progresser, d’avancer et de franchir les nuages pour venir caresser votre peau. Pendant que tout votre organisme respire la magie du printemps, prenez le temps de retrouver le peintre qui a continué avec dextérité à obscurcir cette petite zone de toile, toile qu’il vous offre en souriant et que vous gardez bien à l’intérieur de vous afin de pouvoir l’admirer dès que vous en ressentez le besoin ». Adèle me remercie. Son regard me fait comprendre que je viens enfin de lui proposer ce qu’elle est venue chercher : une arme pour se battre frontalement avec sa maladie. Elle rejoint l’arrêt de bus, un grand sourire aux lèvres.

Ce n’est qu’après une pratique régulière de l’hypnose, rendue possible grâce aux enregistrements, que l’effet thérapeutique a été observé : analgésie, diminution des tremblements, amélioration de l’akinésie et de la posture. Le docteur Faymonville a montré que l’effet antalgique de l’hypnose repose sur une augmentation de la modulation fonctionnelle du cortex cingulaire moyen vers les aires cérébrales impliquées dans les aspects sensoriel, affectif, cognitif et comportemental de la nociception (9). Il est probable que l’effet anxiolytique et myorelaxante de l’hypnose soit à l’origine du mécanisme physiopathologique de la diminution des tremblements. La sollicitation des neurones miroirs pourrait être impliquée dans l’amélioration clinique de l’akinésie et de la posture, l’effet thérapeutique n’ayant été observée qu’après utilisation de suggestions de passage de l’habileté motrice du côté préservée vers l’hémicorps symptomatique. L’anxiété aiguë induite par les cauchemars peut altérer les capacités de la personne à pratiquer l’hypnose. Proposer des exercices de cohérence cardiaque (8) pourrait être alors être intéressant. Enfin, le diagnostic de MP induit une cognition négative puissante chez le patient, mais aussi chez les soignants. Dépasser cette cognition négative en proposant au patient de visualiser sa substance noire et de l’obscurcir permet de le rendre actif dans sa lutte contre la maladie. Bien que des études randomisées soient encore nécessaires pour valider l’efficacité de la pratique de l’hypnose, il semble aujourd’hui intéressant de s’orienter vers une médecine intégrative associant l’hypnose au traitement conventionnel de la MP.

  1. Liu B., Fang F., Pedersen N.L., et al. (2017), « Vagotomy and Parkinson disease: A Swedish register-based matched-cohort study », Neurology 88 (21) : 1996-2002.

  2. Elkin G., Sliwinski J., Bower J., Encarnacion E. (2013), “Feasibility of clinical hypnosis for the treatment of Parkinson’s disease of Parkinson’s disease: a case study”, Int J Clin Exp Hypn 61 : 172-182.

  3. McCormack M. (1998), “Hypnosis used in parkinson’s disease: a case study”, Australian Journal of Clinical and Experimental hypnosis, 26(2): 127-137.

  4. Wain H., Amen D., jabbari B. (1990), « The effects of hypnosis on a Parkinsonian tremor: Case Report with Polygraph/EEG Recording”, American Journal of clinical Hypnosis 33: 94-90.

  5. Schlesinger I., Benyakov O., Erikh I., Suralya S., Schiller Y. (2009), “Parkinson’s disease tremor is diminished with relaxation guided imagery”, Movement Disorders 24(14): 2059-2062.

  6. Virot C., Bernard F. (2010), “Hypnose, douleurs aiguës et anesthésie”, Arnette Blackwell.

  7. Ramachandran V.S., altschuler E.L. (2009), “The use of visual feedback, in particular mirror visual feedback, in restoring brain function”, Brain 132: 1693- 1710.

  8. O’Hara D.(2012). Cohérence cardiaque 365, Thierry Souccar Editions, Vergèze.

  9. Faymonville M.E., Boly M., Laureys S. (2006), “Functional neuroanatomy of the hypnotic state”, J Physiol Paris 99(4-6): 463-469.